logo-bluesky envoi mail Histoire sans fake news

Accès au dernier édito :

Compte rendu de lecture / Les statues de la discorde

Auteur : Jacqueline Lalouette

Maison d'édition : Passés Composés

Année : 2021

Nombre de pages : 240

Jacqueline Lalouette, historienne spécialiste de l’histoire politique et religieuse de la France, s’était intéressée en 2018 à la célébration sculptée des grands hommes depuis 1801 dans un ouvrage illustré de nombreuses photos parus chez Mare et martin. Au début 2021, dans un contexte marqué depuis mai 2020 par la remise en cause, parfois violente, de la présence de certaines statues dans l’espace public, elle fit paraître ce petit livre de 240 pages chez Passés/Composés reprenant la question afin de l’interroger mieux encore. Force est de constater que le résultat est brillant et éclairant.

Ces « statues de la discorde » dressent en effet contre elles ceux et celles qui considèrent qu’un pays démocratique ne saurait honorer dans ses rues des personnages ayant ouvertement fait preuve de racisme ou perpétré des massacres. Mais ces statues, au nom de la défense d’une histoire nationale qui serait d’un bloc et qu’il serait impensable de remettre en cause, trouvent des défenseurs acharnés pourfendant les tenants d’une « cancel culture » remettant en cause les bases d’un roman national censé souder chaque membre de la communauté nationale. Cette question est donc devenue la cause d’une « tempête mémorielle dans l’espace public ».

Interrogeant aussi bien le cas de statues en France métropolitaine, dans les outremers mais aussi dans le reste du monde, Jacqueline Lalouette pointe d’abord les origines de ce mouvement de « vandalisme » contre les statues (la mort de George Floyd, tué par des policiers, constitue l’étincelle décisive). Nul personnage emblématique du passé ne semble protégé : on inscrit sur une statue de Churchill qu’il était raciste comme on qualifie la petite sirène du port de Copenhague de « racist fish ». À travers ces statues c’est donc le passé colonial de l’Occident qui est visé, un passé colonial dont la remise en cause ne peut pas passer pour les nostalgiques d’une suprématie européenne blanche sur le monde.

Les deux chapitres qui suivent se focalisent davantage sur des cas français (Schoelcher, Bugeaud…). S’appuyant sur une grande diversité de sources, et notamment des contenus issus d’internet où se livre par blog ou tweets interposés la lutte entre détracteurs et défenseurs de ces statues de la discorde, Jacqueline Lalouette montre comment les positions des différents camps ne sont pas exemptes d’erreurs, de contradictions ou de parti pris territoriaux.

L’ultime chapitre essaye d’approcher de possibles solutions. Faut-il faire disparaître des personnages de la mémoire commune en déboulonnant et invisibilisant leurs statues ? Faut-il au contraire maintenir celles-ci en place comme témoignages d’un passé dépassé mais en recontextualisant les choses : comment pensait-on à l’époque où vivait ce personnage ? qu’est-ce qui explique qu’à une période donnée on ait jugé utile de sanctifier par la pierre tel personnage ? L’avis de l’autrice qu’on devine irait plutôt vers une véritable mise en évidence dans l’espace public d’autres personnages trop souvent absents comme les défenseurs des esclaves et des noirs hors des territoires ultramarins… ou les femmes souvent peu statufiées…

La discorde autour des statues a été utilisée pour semer le trouble et ancrer l’idée qu’on voulait faire disparaître le passé « glorieux » de la France. On se souvient de ces hauts cris lorsque telle statue (Napoléon à Rouen, Voltaire à Paris…) disparaissait soudain de son socle, hauts cris recélant force fake news (la statue va être détruite ; on veut faire disparaître le personnage de l’Histoire…) quand ces disparitions n‘étaient motivées que par un souci contraire de préservation d’une œuvre attaquée par les ravages du temps. L’ouvrage de Jacqueline Lalouette est une approche intelligente, documentée, argumentée sur cette question délicate dont on peut regretter, quelques années plus tard, qu’elle n’ait pas davantage était prise en compte.

À lire ensuite

1969 Concorde Jean-Marc Olivier

1969. Concorde, premier vol

Lire le compte rendu