
Il y a bien des façons de raconter l’Histoire. Celle-choisie par Guillaume Lebrun dans cet ouvrage est assurément une des plus déjantée et dévastatrice qui soit. On est ici bien au-delà d’un récit classique tel que pourrait le produire un Stéphane Bern, aux antipodes de ce qu’un historien ou une historienne proposerait dans un ouvrage universitaire. C’est de l’histoire façon Raoul Volfoni : ça dynamite, ça disperse, ça ventile… et ça saigne…
Ici le propos de l’auteur est de nous raconter la genèse de l’épopée de Jeanne d’Arc à travers le récit de deux personnages féminins, Yolande d’Aragon et Jehanne 12. C’est la première, belle-mère du roi Charles VII, qui est à l’origine de la machination qui doit aider la France à se relever face aux Anglais. Pour cela, elle imagine redynamiser le pays en exploitant de vieilles croyances sur l’arrivée d’une pauvrette inspirée par Dieu venant rétablir l’ordre divin. Elle lance donc le recrutement de 15 jeunes filles dans le royaume qui seront toutes renommées Jehanne et pourvues d’un numéro, seront formées intellectuellement et militairement pour incarner cette créature salvatrice. C’est donc la numéro 12 qui intervient pour compléter le récit avec une vivacité d’esprit et des avis bien tranchés sur ce qui se passe ; elle est clairement la rebelle du groupe.
Ce qui a marqué les critiques c’est bien sûr le côté fou de l’histoire mais aussi l’imagination apportée dans l’écriture où se mêlent langage contemporain, langue ancienne, langue étrangère (Yolande d’Aragon ne désigne son mari que par « my husband »), inventions lexicales. Cela donne donc une sorte de grand fatras auquel tous les lecteurs n’adhèreront pas forcément… Mais si vous vous lancez, je vous conseille de prêter un œil particulier aux chansons médiévales (et à leur texte) évoqués à plusieurs reprises dans le récit ; vous pourriez y retrouver des trucs connus.
Le roman couvre un peu toutes les intentions (on y est autant dans le gore à certains moments que dans une intention queer assumée, dans le comique appuyé et lourd comme dans des traits de grande finesse pour initiés only). Se pose cependant – et c’est la raison d’être de ce compte-rendu – la question de l’impact que cet ouvrage peut avoir sur la maîtrise de l’histoire de Jeanne d’Arc (sachant que le roman s’arrête en fait au moment de la prise d’Orléans). Il s’agit d’une fantaisie qui dépasse largement tout ce qu’Alexandre Dumas a pu faire subir à l’Histoire. Si on peut penser en lisant celui-ci que Buckingham fut quasiment l’amant d’Anne d’Autriche, il y a bien peu de chances que quelqu’un vienne un jour vous expliquer qu’en fait, d’après un livre récent, Jeanne d’Arc c’était en fait le fruit d’un complot monté par Yolande d’Aragon (comment ça c’est une théorie qui existait déjà ?…) à partir du choix de 15 jeunes filles dans le royaume dont on a sélectionné la meilleure après d’homériques combats contre… [là je ne dis rien pour ne pas spoiler]. Alors pourquoi pas après tout ? Ce n’est pas du tout de l’histoire contrefactuelle. C’est autre chose que ce roman. Une sorte d’OVNI qui a emballé une partie de la critique (de gauche surtout, comment s’en étonner ?). Je l’al lu, je sais que je ne le relirai pas parce que, même si je suis un adepte de roman historique déjanté (voir La Geste de la très remarquable Podane de Grime dans la Boutique du site), le côté sanglant XXL de certains passages me rebutera toujours. Mais si le cœur (pas soulevé) vous en dit…