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Dénaturalisés de Claire Zalc

Compte rendu de lecture / Dénaturalisés

Auteur : Claire Zalc

Lieu d'édition : Paris

Maison d'édition : Seuil

Année : 2016

Nombre de pages : 400

L’étude de Claire Zalc sur les retraits de nationalité en France pendant la Seconde Guerre mondiale est un livre qui s’assimile à un coup de poing qui viendrait vous sonner. On n’en sort pas intact. Non parce que, comme dans des études par exemple sur les camps de concentration et d’extermination, on voit se dérouler sous nos yeux des violences atroces, des crimes épouvantables… Ici, ce qui s’exerce c’est une violence sourde, souvent commise là où vivent ceux qui vont en être victimes, dans le frottement des feuilles de papier et le martèlement sec des tampons encrés qui s’abattent, dans une sorte de torpeur d’un quotidien répétitif et banal. Cette lecture vous ouvre les yeux sur les tréfonds de l’ignominie humaine. À l’heure où d’aucuns cherchent à convaincre l’opinion publique qu’un gouvernement encore plus droitier ne pourrait pas remettre en cause les piliers de notre démocratie parce que ceux-ci sont solides et que les échelons administratifs refuseraient de plier devant certaines injonctions illibérales, Dénaturalisés devrait ouvrir les yeux.

Il aura fallu 12 jours (du 10 au 22 juillet 1940) pour que le gouvernement d’un Pétain aux pleins pouvoirs impose l’annulation des naturalisations intervenues depuis la loi de 1927, une priorité sans aucun doute dans le chaos consécutif à la déroute de mai-juin 1940… Et ensuite, tant au niveau central que localement, les services de l’État (les mairies, la justice, la gendarmerie…) ont obéi et mis en application cette loi, contraire au droit essentiel des hommes et des femmes, sans manifester trop d’états d’âme. Certes il y eut des résistances mais elles apparaissent bien minimes. Par une terrible fatalité, ces Français nouveaux qu’on venait prévenir des dangers de répondre aux convocations reçues étaient tellement confiants en leur nouveau pays qu’ils n’écoutaient pas.

Dans cette lutte pour extirper de la communauté française les mauvais éléments, pratiquement un million de personnes, il y avait bien évidemment une cible privilégiée : les juifs. Quand bien même les juifs ne sont pas spécifiquement cités par le texte de la loi, l’étude de Claire Zalc montre que les administratifs chargés d’enquêter sur ces naturalisés récents avaient en permanence ce critère d’appartenance en tête ; il s’agissait bien d’assainir le sang français. Certains peuvent donc venir essayer de convaincre l’opinion que « Pétain a sauvé des juifs français », la vérité historique est établie clairement : hormis quelques cas, des juifs français ont d’abord été dénaturalisés avant d’être ramenés à la simple condition de juif, préalable aux tragiques voyages qu’on connaît.

Dernier élément qui donne la nausée, la facilité avec laquelle certains sont passés de la République démocratique à l’autoritarisme de Vichy pour revenir par un habile rétablissement à servir l’administration provisoire du GPRF puis les Quatrième et Cinquième République. Le plus « beau » et terrible exemple de cette continuité des personnels de justice est bien analysé à travers la personne d’André Mornet. Parti à la retraite peu avant la débâcle, il reprend sa carrière comme vice-président de la commission de révision des naturalisations en septembre 1940. Il y fait preuve de rigueur dans l’application des attentes du gouvernement et demeure à son poste jusqu’à l’écroulement du régime. On le retrouve pourtant nommé dès novembre 1944 comme procureur général de la Haute-Cour de justice. À ce titre c’est lui qui viendra requérir contre Pétain et Laval qu’il aura pourtant servi pendant quatre ans lors de leur procès… Il peut ensuite partir à nouveau à la retraite nanti de titres honoraires et de la médaille de la Résistance française (1947).

Alors ? Toujours sûr que les administrations tiendraient le cap de la démocratie ? C’est un des mérites du riche travail de recherche de Claire Zalc que de donner à penser au rôle des hommes des rouages administratifs, de ceux qui appliquent strictement ce qu’on leur ordonne de faire comme des quelques-uns qui résistent, dans un ensemble de destinées individuelles.

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