
Le dimanche 2 mars 1969 dans l’après-midi, le premier Concorde prend son élan sur la piste de l’aéroport de Toulouse-Blagnac et décolle sans souci devant les objectifs de la presse du monde entier. Tout le monde a conscience de vivre un grand moment, un moment qui va peut-être changer la donne du transport aérien mondial. Conformément au principe de la collection « Cette année-là », la première partie de court volume de 48 pages est consacrée au déroulement de cette journée du 2 mars depuis les reports successifs du décollage jusqu’au retour de l’équipage mené par André Turcat après un vol écourté du fait de la panne de deux des trois climatiseurs du bord.
Dans une deuxième partie, Jean-Marc Olivier, professeur à l’université de Toulouse-Jean-Jaurès et spécialiste de l’histoire de l’aérien et du spatial, montre en quoi ce premier vol s’inscrit dans une période particulière. Nous sommes en pleine guerre froide, dans une incessante course au progrès technologique suscitée par les nécessités de disposer des armements les plus en pointe. C’est parce que les recherches militaires ont existé qu’il est possible de concevoir l’idée d’un appareil de transport supersonique et d’entreprendre sa réalisation : Soviétiques, qui savent qu’ils sont en passe de perdre la course à la Lune, Américains, qui refusent de s’endormir sur leurs lauriers, Britanniques et Français ont chacun leur propre projet. Pour ces deux derniers, l’importance des coûts conduit à un rapprochement qui donne naissance au projet Concorde. En dépit de difficultés que présente l’auteur, le projet aboutit à la construction de premiers prototypes tandis que les premières commandes arrivent dans les carnets de commande.
On le sait, Concorde ne sera pas un succès commercial mais une véritable catastrophe industrielle. C’est tout le mérite, et l’intérêt, du livre de Jean-Marc Olivier que de ne rien cacher de cela et de montrer comment, dès le début, les plus grands doutes pouvaient exister face à la rentabilité du supersonique. Toulouse s’enorgueillit de sa position de « capitale de l’industrie aéronautique mondiale » et le « grand oiseau blanc » est quelque part son icône. Il faut donc être armé d’une solide foi historienne pour oser écrire (et même dire face à une assistance constituée d’anciens de l’Aérospatiale comme j’ai entendu Jean-Marc Olivier le faire) certaines vérités que la mémoire locale refuse souvent d’accepter. L’auteur montre d’abord que le Tupolev 144 est bien le premier supersonique civil de l’histoire puisqu’il réalise son premier vol, son premier vol supersonique et son premier vol à deux fois la vitesse du son plusieurs mois avant le Concorde ; il démontre également que contrairement aux racontars qui perdurent à Toulouse l’avion soviétique n’est pas un simple clone du Concorde à qui il aurait tout pris. Jean-Marc Olivier s’intéresse également à l’échec commercial du supersonique et là aussi ses remarques ne prennent pas de gants avec la vulgate locale d’un Concorde tué par le retrait simultané et concerté des commandes des grandes compagnies américaines. Il aurait fallu plusieurs centaines d’appareils vendus pour parvenir à une rentabilité du programme, il n’y en eut que 20 de fabriqués (prototypes compris). L’échec commercial n’empêche pas que le Concorde soit devenu une véritable icône pour les amateurs d’aviation (en témoignent les recherches effectuées par l’auteur notamment à partir des moteurs de recherche informatiques). De manière pertinente, mais là aussi en contradiction avec le sentiment local, Jean-Marc Olivier montre combien le projet Airbus, lancé pratiquement à contre-cœur, avait plus de sens.